Histoires réelles et fictionnelles dans la camiothèque de papi Jules
Extrait du roman inédit
Appels du Sud, de l’Ouest et de l’Orient
de Marie-Diane Clarke
Illustration : Marylène Portaneri
Louis et Manuel écoutaient papi Jules qui, dans sa camiothèque, leur lisait quelques pages sur l’époque médiévale, notamment sur la vie des moines à la campagne. Lorsque ce dernier prononça le mot monastère, Louis pensa à un lieu plutôt sombre et froid, privé de musique et de télévision. Mais quand il entendit qu’un monastère, c’était comme l’abbaye de Castagniers qu’ils avaient visitée il y a trois semaines, il se rappela soudain l’image de Notre-Dame-de-la-Paix. La statue de la Vierge enlaçait Jésus, grande et svelte comme la cousine Chantal. Un samedi, il avait cru entendre sa tante raconter que Chantal restait peut-être dans un de ces monastères, coupée du monde, avec son bébé.
Louis voulut demander à papi Jules pourquoi on ne voyait pas aussi dans l’Église du village la statue d’un moine serrant le bébé Jésus dans ses bras. Cela le surprenait d’autant plus que c’était toujours son père ou son oncle qui le portait sur les épaules quand, durant sa petite enfance, il ne voulait plus marcher lors des randonnées familiales. Mais il oublia vite sa question, fasciné par un ouvrage illustré qui montrait des paysans labourant les champs des seigneurs et des hommes d’Église. C’est alors que son frère Manuel demanda si Barbe bleue avait réellement kidnappé et tué des enfants de paysans.
- Et puis, Barbe bleue, c’était un seigneur et un chevalier! Et un chevalier, ça ne doit pas maltraiter les enfants de gens qui les nourrissent !, s’emporta Manuel.
- Ben, Robin des bois, il a peut-être défendu les enfants des paysans contre Barbe bleue !, l’interrompit Louis.
- Barbe bleue a existé, mais pas Robin des bois qui, lui, existe seulement dans les livres, rétorqua papi Jules. Barbe bleue, c’était malheureusement un alchimiste…
- Mais pourquoi est-ce que les chevaliers de la Table Ronde n’avaient pas un arc comme Robin des bois ?, insista Louis, dressant un arc invisible.
- Les chevaliers de la Table Ronde, c’est une légende inventée par des écrivains, Louis. Les chevaliers ont existé, mais pas les chevaliers de la Table Ronde. Parmi les chevaliers qui existaient, il y avait les Templiers au XIIe siècle qui accompagnaient les chrétiens qui allaient visiter les lieux saints.
- Un lieu saint, c’est comme Saint-Jean-Cap-Ferrat avec sa Vierge noire, la grande statue qui se trouve au zoo ?, demanda Manuel.
- Avec les lamas, les girafes et l’éléphant ?, ajouta Louis.
- C’est ça! Pour ta question sur les arcs, Louis, au début du moyen-âge, les chevaliers portaient surtout des épées et des lances. Pour eux, un arc c’était une arme pour la chasse, et ils pensaient qu’utiliser un arc au combat, c’était pour les moins courageux… Mais, les garçons, il est temps de fermer la camiothèque !
Louis essayait de prolonger la conversation :
- Papi, tu sais, dans l’histoire du Loup et des Biquets, le Loup veut manger les bébés chevreaux pendant l’absence de la maman chèvre. Alors, il met de la farine blanche sur sa patte et la montre sous la porte pour faire croire qu’il est la maman chèvre, et il mange des guimauves pour avoir une voix de femme. Est-ce que tu penses que si je mange des guimauves fraises, je vais parler comme une fille ?
- Mais non, tout ça c’est des histoires pour faire rire. Mais, que se passe-t-il quand tu manges des guimauves fraises ?
- Rien, sauf que quand j’en ai quatre dans la bouche, Manuel n’me comprend plus.
- Tu en as mangé ce matin ?
- Ben… oui.
- Et tu penses avoir une voix de fille maintenant ?
- Ben non, s’esclaffa Louis.
- Voilà la réponse à ta question! Et puis, même si tu avais une voix de fille, j’peux te dire que je ne t’aimerais pas moins !
Rassuré par la dernière déclaration de son grand-père, Louis franchit la portière de la camiothèque, les épaules hautes et le sourire aux lèvres.