Numéro 1 - Printemps 2017

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Micronouvelles

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Ian C. Nelson (Saskatchewan)

Petite annonce

À VENDRE. Solde. Maillot pour femme et maillot pour homme en cuir rouge diable. Petit fouet assorti, au poignet tressé à la russe. Soigneusement nettoyé au savon de selle après usage unique. À vendre aussi : anneau d’alliance de courte durée.

Le miroir surpris

Le miroir dans la chambre de Ghislain avait tout vu. Depuis le début, il lui reflétait même son prénom qui veut dire « otage et doux ami ».

Il avait vu le bébé se tortiller vers le reflet, tendre ses petits doigts vers l’image et tomber la joue contre la glace, les yeux écarquillés. Il avait vu le moment révélateur quand le petit avait compris que ce n’était pas un autre qui avait envahi son espace, mais lui-même qui mimait tous ses gestes et semblait répéter tous ses gargouillements avec la bouche et la langue sans, pourtant, faire de bruit.

Le miroir avait enregistré chaque anniversaire quand le petit garçon était mesuré et sa taille soigneusement creusée sur le cadre en bois. Il avait vu ses chemises devenir trop étroites et ses pantalons trop courts.

Il avait remarqué la surprise du gars en trouvant ses premiers poils et le désespoir avec les premiers boutons. Il avait suivi de près l’auto-examen du jeune homme qui avait hâte finalement de se raser. Il avait suivi les gestes premiers que faisait Ghislain en découvrant le plaisir du toucher et le choc du premier jaillissement de sperme.

Il avait vu l’adolescent se livrer aux larmes à ses premières déceptions et ses chagrins d’amour.

C’était avec regret que le miroir avait reflété un geste d’au revoir quand l’étudiant entra à la faculté. Dorénavant, les reflets de Ghislain devinrent rares : un retour à la maison avant de prendre son premier poste dans une agence prestigieuse, un tourbillon d’images fiévreuses quand il se préparait au mariage, un reflet sombre et solitaire après son divorce.

Ensuite un long silence dans cette chambre triste et délaissée comme une tombe. Seulement des murmures et quelques conversations des parents qui entraient par la porte entrebâillée de temps en temps. Parfois des accusations et des sanglots. Petit à petit, une poussière lui dépolissait la surface, presque à la rendre givrée. Il s’en voulait de ne pas être humain pour s’essuyer. Après tout, il avait témoigné et des moments heureux et des drames dans cette maison, et il avait survécu indemne, malgré quelques objets lancés dans des moments de colère ou de frustration.

Puis, un jour, il se raidit en entendant des voix dans le couloir. Beaucoup de remue-ménage. Un cri étranglé du père, un long silence, des bribes de phrases, un autre silence. Finalement, la porte s’ouvrit et la mère prononça : « Ton père comprendra, tu verras. N’insiste pas tout de suite, il lui faut du temps. En tout cas, ta chambre t’attend comme toujours, rien n’a changé là-dedans. Ton père a été surpris, c’est tout. On s’accommodera. Nous sommes tes parents. »

Que dire après une telle absence ? Un moment s’imposa, juste le temps de retenir sa respiration avant de se livrer à la joie de se retrouver !

Oui, un moment de silence. Puis. Voyons, rien n’avait annoncé la figure qui prit place devant la glace pour sa nouvelle portraiture. Après un million de reflets immédiats et spontanés devant le jeune Ghislain pendant tant d’années, comment diable s’ajuster à ses expressions d’aujourd’hui ?

Un coup de main pour essuyer la glace, s’il te plaît. Pour l’amour…

Arriva le moment de se regarder dans les yeux, l’être et son image exacte. Le miroir fit un grand effort. Et voilà ! Ghislaine se rencontra, se reconnut enfin chez elle.

Le coq, la poule et le cognassier

Un poussin pépie, une poule caquette, mais un coq chante.

Un coq, archifier de sa voix – comme ils le sont tous – claironnait tous les matins. Un jour, après avoir fait son réveil-matin apocalyptique, il repéra dans la basse-cour une poule ample et gracieuse dont les plumes blanches reflétaient le bleu du ciel comme si elle avait hérité du manteau de la Vierge. Cette poule au pied leste et aux yeux clairs et séduisants inclinait la tête d’un côté et de l’autre – comme elles le font toutes – pour repérer des hexapodes, grâce à sa vision aiguisée jusque dans l’ultra-violet. M. LeCoq allongea le cou – symboliquement – de nouveau et se remit à chanter matines, cette fois dans un registre qu’il voulait être celui du Cantique de Salomon. L’objet de son désir ne lui prêtait aucune attention. Elle poursuivait son chemin, prête à pondre des œufs inféconds, mais beaux de forme et destinés aux omelettes baveuses et aux tiramisus luxueux.

Le coq n’accepta point le refus et, sur-le-champ, il exerça sauvagement ses droits de seigneur.

Loin d’être désemparée par l’assaut, la poule tourna un œil gauche apeuré au ciel au moment fatidique et M. Le Coq, croyant y voir le signal d’un faucon prédateur prêt à descendre l’arracher de son royaume, quitta péremptoirement sa perche, en aspergeant toute la basse-cour de son sperme. Comme bien des mâles à la mitraillette rapide, il marqua pourtant sa victoire anticipée en poussant un cocorico bien fort pour distraire l’attention de sa volée quelque peu inexacte.

Un cognassier surveillait le coin de la basse-cour où s’était passé l’incident désobligeant. Il entendit toute la cacophonie qui accompagnait cette triste affaire, et se fâcha de ne pas pouvoir bouger pour venir lui-même à l’aide de la belle poule ciblée. Il s’indigna qu’une cocotte puisse se voir « testostéronisée » de la sorte dans un moment qui devait être innocemment paisible, mais il pouffa de rire en observant l’astuce chouette qu’elle employa pour éviter l’incontournable d’un accouplement forcé. Une volée de plumes, hélas, marquait trop souvent les instances où la victime avait été moins agile. Le soir même, quand une bourrasque de pluie obligea la poule à se réfugier sous ses feuilles, il la félicita de son adresse habile pour parer à l’intrus. Par la suite, les deux concoctèrent une conclusion devenue légendaire dans les environs.

Bien sûr, le vantard indélicat ne se doutait point d’une progéniture manquée. Le lendemain matin, le soleil à peine visible à l’horizon, il se mit à claironner sa prouesse.

Dès les premières notes de cocorico, la poule afficha un air coquet et assuma une attitude qui semblait dire que M. LeCoq avait bel et bien gagné ses lettres de noblesse et s’était assuré d’une descendance des plus belles.

Sous cape, la féconde présomptive prit un coing que lui avait filé le cognassier et le mit innocemment dans sa cuvée. À voir la couleur inusitée de l’œuf que venait de pondre Madame,

M. LeCoq conclut tout de suite que sa semence noble en était la cause et il surenchérit son appel matinal pour persuader la fermière de mettre son héritier singulier dans une couveuse électrique de la première qualité, car un prince de son royaume mérite bien plus que les soins humbles et artisanaux de Madame, toute séduisante qu’elle fut pour le coït interrompu – mais évidemment géniteur – dans la basse-cour.

Chaque matin depuis lors – tel un rituel ecclésiastique –

M. LeCoq rend visite à la couveuse pour examiner de près le fruit de ses entrailles.

Pas trop doué en mathématiques ni en biologie, il le fait maintenant depuis deux ans sans se fatiguer. Après chaque visite, torse bombé, il se pavane comme si une fanfare militaire jouait une marche de Sousa pour le célébrer. Pendant ce défilé prétentieux à un, le cognassier et la poule font leur petit commerce pour substituer un coing frais à celui presque mûri par la chaleur électriquement maternelle. La fermière, elle, laisse faire, car il plaît à son esprit féministe que M. LeCoq, si fier de l’épiphanie perpétuellement imminente de son exploit, a cessé de tracasser le reste du personnel de la basse-cour.

Morale : une révolution peut s’accomplir à l’insu du plus hardi des dictateurs quand un cognassier sait jauger l’arrogance d’un con.


Ces micronouvelles d’Ian proviennent du livre Contes bleus à encre économe publié aux Éditions de la nouvelle plume

Ian C. Nelson

Ian C. Nelson

Décédé le 1er février 2024, Ian C. Nelson était metteur en scène et acteur bilingue (plus de 115 mises en scène et 130 rôles) et était membre du comité qui a mis sur pied la revue À ciel ouvert.. Il a animé le Cercle des écrivains de la Troupe du jour pendant plusieurs années. Sa propre pièce La Chambre blanche a reçu le prix SATA (Saskatoon Area Theatre Award) 2013-2014 pour la dramaturgie. Récipiendaire d’un « Lifetime Achievement Award » en 1996, il a été intronisé en 2014 au Temple de la renommée du Théâtre Saskatchewan en reconnaissance de ses activités dans le développement du théâtre en français et en anglais en Saskatchewan. Des exemples de ses micronouvelles (devenu son genre préféré) ont été publiés dans À ciel ouvert, la chronique « Horizons » de l’Eau vive, et dans Bref! (Éditions du blé, Saint-Boniface).

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