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S'exprimer autrement
Cette chronique, en collaboration avec La Cité universitaire francophone,  offre des textes dont les auteurs ont en commun d’avoir choisi le français comme langue seconde.

Effervescence musicale dans les Prairies

FRANCOPRESSE – Au milieu du désarroi général causé par la pandémie, une certaine effervescence musicale se manifeste dans les Prairies avec une multiplication de lancements d’albums, concerts en ligne et nouvelles formations. Quatre chanteurs et musiciens partagent leurs réflexions pour comprendre cette vitalité culturelle en contexte minoritaire francophone.

Bien que venant de différents horizons culturels, Andrina Turenne, Cristian Murillo — mieux connu sous le nom de Cristian de la Luna —, Kelly Bado et Byrun Boutin-Maloney, alias Lord Byrun, se sentent chez eux dans les Prairies.

Si cela peut paraitre évident pour Andrina Turenne, métisse, née à Saint-Boniface, le cœur de la communauté francophone du Manitoba, ou encore pour Lord Byrun, originaire de Riceton, dans le sud-est de la Saskatchewan, ce l’est moins pour Cristian de la Luna ou encore Kelly Bado.

Originaire de Colombie, le premier est arrivé au Québec à l’âge de 17 ans, où il a appris le français. Il vit maintenant à Edmonton, en Alberta.

La seconde est arrivée du Cameroun, pays bilingue comme le Canada, en 2007 pour s’installer à Winnipeg, au Manitoba.

Pour chacun d’eux, le français pourrait être une langue parmi d’autres ; et pourtant, c’est celle qu’ils choisissent, à l’occasion, dans leur création musicale.

Langues officielles

Leur identité francophone ne relève pas d’une prise de position idéologique ou politique. Pas de crispation identitaire ici : les conversations chantent d’accents multiples, empruntant à l’occasion des mots et tournures de l’anglais au profit d’un français chantant.

Andrina Turenne affirme avoir conscience de sa situation minoritaire à cause de son statut d’artiste francophone et métis, mais elle souligne aussi que cette conscience est un héritage bien plus qu’une expérience personnelle : «Je suis une artiste franco, mais aussi bilingue. Je travaille sur les deux marchés», indique-t-elle.

Il en va de même pour Cristian de la Luna, qui a choisi d’aller s’installer dans l’Ouest précisément pour apprendre l’anglais. L’usage du français dans sa pratique musicale lui a cependant été favorable en Alberta, où il a découvert une communauté francophone accueillante.

«J’ai habité au Québec pendant huit ans, puis ça fait 12 ans que j’habite dans l’Ouest. Le fait de parler la langue, de parler en français, ça m’a ouvert plein de portes, ça permet de rencontrer plein de gens. Ça m’a aussi […] poussé à rencontrer la communauté multiculturelle, ici en Alberta, d’aller aussi un peu vers le marché anglophone, tout en montrant le bagage culturel que j’apporte avec moi», témoigne l’artiste originaire de Colombie. 

Opportunités en milieu minoritaire

Tous deux connaissent aussi la scène musicale québécoise pour avoir vécu et pratiqué leur art dans la province. Lord Byrun et Kelly Bado confirment que s’installer dans l’Est leur est souvent présenté comme un choix de carrière évident pour réussir par leur entourage.

Lord Byrun nuance cependant : «Il y a définitivement plus d’infrastructures ailleurs, mais ça ne veut pas dire que la job ici est impossible. Je pense que ça fait que les artistes sont plus résilients d’une façon ici parce qu’ils ont moins d’aide. S’ils le font, c’est parce qu’ils veulent vraiment le faire, puis ils sont un peu débrouillards.»

Ainsi, tous s’entendent à dire que la création dans les Prairies a été un pari gagnant. «Le temps m’a donné raison de rester en milieu minoritaire», confie Kelly Bado.

Elle souligne l’important réseau communautaire d’appui aux artistes francophones qui, dans son cas, a directement contribué à son épanouissement professionnel, de la sortie de sa première capsule musicale en 2017 au lancement de son premier album en 2020.

Outre cet appui, Andrina Turenne et Lord Byrun témoignent aussi de la qualité de vie dont ils bénéficient dans l’Ouest.

Lord Byrun fait ainsi l’éloge de l’éloignement géographique, gage de tranquillité, mais aussi de ralentissement, propice à la pratique artistique : «Je ne m’assois pas puis je dis : “Okay, aujourd’hui, je vais écrire une chanson.” Moi, je suis patient, puis j’attends, puis je collecte des petits morceaux, puis je les travaille, puis c’est du bricolage et ça, c’est du travail. Alors moi, je suis comme un fermier : si je mets un bon crop dedans, si je fais mes bonnes choses, alors je vais avoir une récolte.»

Identités et pratiques multiples

Lord Byrun identifie d’ailleurs le créateur de la Renaissance Léonard de Vinci comme modèle et une source d’inspiration en raison de sa polyvalence créatrice qui le rend inclassable.

Cette référence apporte un éclairage intéressant sur la pratique de ces quatre artistes. Comme le souligne Cristian de la Luna, les communautés dans l’Ouest sont si diverses et intriquées que les étiquettes ne signifient plus rien dans leur multiplication et juxtaposition.

De fait, Lord Byrun pratique les arts visuels depuis le début de sa carrière. Il s’est récemment livré à une performance artistique visant à illustrer la chanson Campagne, tirée de son récent album, Je suis un animal magique.

De son côté, Cristian de la Luna fait présentement une maitrise en création littéraire à l’Université de Valencia, en Espagne.

Kelly Bado a pour sa part profité de la pandémie pour développer sa pratique d’écriture avec l’aide du parolier franco-espagnol Frédérick Baron et de la parolière bilingue Jaylene Johnson.

Finalement, Andrina Turenne s’épanouit maintenant en tant que réalisatrice : «Il y a quelques mois, j’ai acheté de nouveaux morceaux d’équipement pour mon studio qui me permettent vraiment d’aller plus loin dans la création. Je suis vraiment en train d’essayer d’apprivoiser de nouvelles techniques, de faire de l’apprentissage face à la réalisation, face au mix. […] C’est comme si j’étais en train de créer un nouveau petit monde pour moi dans cette aventure [qu’est la pandémie de COVID-19].»

Pour ces musiciens, l’enjeu est moins de se définir en tant qu’artiste francophone, mais plutôt de s’adapter à son environnement : «Je ne pense pas que ce soit une question de se déplacer. Je pense que c’est une question de stratégie ou de vision, comment tu travailles. […] Il faut rester là où l’on est, puis il faut donner. Il faut être la richesse de là où l’on est», affirme Kelly Bado.

L’exploration artistique en matière de production de musique, mais aussi de livraison à un public en virtuel, occupent aujourd’hui une place centrale dans les réflexions de ces artistes, les poussant à redéfinir ce qu’Andrina Turenne nomme «le plus sincère et brillant de ce qu’[on a] à offrir».

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