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Le 7e art - chronique cinéma

Politique créative du Canada : la francophonie reste sur sa faim

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La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly en compagnie de Sarah Polley

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly en compagnie de Sarah Polley

Madame Polley est la scénariste d’une coproduction avec CBC qui sera prochainement diffusée sur Netflix.
Photo : Patrimoine canadien)

Après 18 mois de consultation et de réflexion, la ministre du Patrimoine canadien a livré le 28 septembre la nouvelle Politique créative du Canada. Axée sur l’appui aux artistes et créateurs, le plan de Mélanie Joly prévoit une ambitieuse modernisation de l’instrumentation fédérale afin de « placer le Canada dans l’avant-garde ». L’annonce laisse toutefois perplexes les communautés francophones.

La Politique confirme ce qu’attendait Anne Robineau : « Donner un électrochoc au milieu culturel pour qu’il repense complètement son offre sur les plateformes numériques. Ça repose sur des tendances de consommation où l’offre culturelle, et surtout la demande culturelle, s’internationalisent. »

La chercheuse de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques croit que l’intention fédérale est « de produire du contenu canadien exportable à un public canadien et international de plus en plus habitué à une offre diversifiée, mais très standardisée et états-unienne. »

Pour élaborer une stratégie d’exportation du contenu canadien, Ottawa créera un Conseil des industries culturelles présidé par la ministre et doté d’un fonds de 125 millions sur cinq ans. D’ici 2020, le gouvernement entend légiférer et règlementer pour moderniser les capacités des piliers de l’industrie.

CBC/SRC verra son mandat revigoré pour donner à la population la capacité de vivre « une expérience unique du Canada » dans un univers médiatique hyper compétitif. Tout cela reste à définir avec l’administration du diffuseur public.

Les droits d’auteur ?

Ottawa entend également réviser la loi sur les droits d’auteur, qui n’a pas encore été adaptée à l’ère numérique. Une très bonne nouvelle, explique Natalie Bernardin, la directrice générale de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique.

« Ça fait longtemps qu’on attend. Ça a un impact majeur sur la façon que les auteurs-compositeurs sont rémunérés. » Certains créateurs ont récemment rapporté que la diffusion de leur chanson sur YouTube rapportait une fraction d’un cent.

Le fédéral investira 300 millions de son fonds d’infrastructures pour créer des incubateurs créatifs afin de construire la capacité des artistes en matière de création, d’innovation et d’entrepreneuriat.

Natalie Bernardin se dit « super encouragée » par l’idée de ces incubateurs, un soutien essentiel pour la nouvelle génération. « Les artistes sont autonomes, mais ils ne sont pas tous des gérants et des bookers. Ils n’ont pas le temps de créer parce qu’ils ont trop d’autres choses à faire. »

Ottawa entend renforcer son appui aux industries musicales et littéraires aux prises avec des nouvelles réalités et technologies, en renforçant en priorité le marché domestique et en adaptant les critères d’admissibilité aux programmes.

La loi de Netflix ?

Côté film, Mélanie Joly a annoncé une entente quinquennale de 500 millions $ avec le distributeur Netflix pour appuyer la création de contenus canadiens. Une filiale du diffuseur Web sera fondée au Canada et investira 5 millions par année dans la production télévisuelle en français.

La réaction immédiate du milieu se résume ainsi : nos créateurs seront soumis aux préférences du géant américain et notre industrie du film continuera d’évoluer dans un contexte d’injustice sur le plan fiscal. Ottawa n’entend pas taxer les géants du Web, mais continuera d’imposer les diffuseurs canadiens.

Au lieu des multinationales américaines, ce sont les Canadiens qui vont payer, souligne le président de l’Alliance des producteurs francophones du Canada, Jean-Claude Bellefeuille. « Ça va profiter aux producteurs du Canada anglais. On sera soumis aux choix de Netflix : ils vont investir dans le marché francophone, mais à quelle teneur ? En milieu minoritaire, on est au bout de la ligne. »

Le président se réjouit néanmoins d’une mesure qui maintiendra temporairement à flot la production hors Québec. Ottawa bonifiera sa contribution au Fonds des médias du Canada pour compenser, selon lui, « les pertes (de revenus tirés des cotisations des distributeurs privés) causées par les Netflix de ce monde ». Le Fonds sera stabilisé à 370 millions par année, une hausse de 6 % par rapport à l’an dernier.

 

La presse indépendante ?

Quant à l’industrie de la presse, Ottawa refuse de protéger des modèles d’affaires qui ne sont plus viables et préfère appuyer le secteur par la voie de l’innovation et de l’expérimentation. C’est l’approche choisie pour la modernisation anticipée du Fonds du Canada pour les périodiques qui sera axée sur la protection de l’indépendance journalistique. Le fédéral entend négocier avec les géants Google et Facebook une contribution financière pour renforcer l’industrie de l’information.

Le président de l’Association de la presse francophone, Francis Sonier, est encouragé par les propositions qui reconnaissent le rôle essentiel des médias locaux et l’importance du contenu journalistique pour la démocratie. « Nous sommes impatients de connaitre les mesures concrètes annoncées par la ministre pour 2018. »

Le porte-parole regrette toutefois qu’Ottawa ne reconnaisse pas « la pertinence des journaux établis dans plusieurs communautés de langues officielles éloignées, pour lesquels la transition numérique est impossible pour l’instant ».

Natalie Bernardin trouve pourtant essentiel le soutien local aux journaux et radios communautaires. « Ce sont les premiers partenaires de nos artistes qui n’ont pas de fonds pour investir dans leur promotion. » 

Selon Anne Robineau, le défi des créateurs en milieu minoritaire n’est pas le manque de talent. « C’est l’accompagnement, la formation, la main-d’œuvre qualifiée, le réseautage vers ceux et celles qui pourraient les emmener plus loin. Il faut du soutien financier, mais aussi créer une expertise. Ce serait désastreux si les communautés francophones devaient se débrouiller toutes seules dans cette transition. »

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