Agenda littéraire

Jean-Pierre Picard
/ Catégories: 2015, Éditorial, Société

Le Grand Duduche assassiné

J’étais jeune adolescent. Tous les jeudis, j’allais à l’épicerie de mon père chercher ma copie de l’hebdomadaire Pilote Le Journal d’Astérix et Obélix. On y trouvait tous ces jeunes dessinateurs belges et français qui traduisaient le tourbillon des années 60  un avec un humour sophistiqué et parfois irrévérencieux.

Une BD qui me plaisait particulièrement était Le Grand Duduche. Ce personnage, créé par Cabu, était un lycéen  indiscipliné, doté d’une formidable incapacité à suivre les règles et devant être constamment rappelé à l’ordre par ses enseignants, les gendarmes, ou tout autre adulte « responsable ». Je venais d’entrer à l’école secondaire et l’univers du Grand Duduche m’interpellait.

D’étudiant contestataire dans les années 60, le Grand Duduche devient anti-militariste dans les années 70 puis écologiste et pacifiste. À voir la photo de son créateur,  on ne peut douter du côté autobiographique du personnage.

Pourquoi je vous parle du Grand Duduche? C’est sans doute parce qu’en apprenant la nouvelle du massacre à Charlie Hebdo, c’est l’image qui m’est d’abord venue. Celle du Grand Duduche criblé de balles. Il me fallait mettre un visage sur  l’horreur.

Ils seront nombreux à analyser cette tragédie et à la décortiquer. Des millions de gens sont descendus dans la rue scandant « Je suis Charlie » au nom de la liberté de presse.  Si c’est vraiment ce qu’ils défendent, où étaient-ils les dizaines de fois où cette publication a été traînée devant les tribunaux?  Où étaient-ils lorsque les locaux du journal ont été incendiés en 2011 après la publication des caricatures de Mahomet?

Ce que les gens défendent, ce n’est pas forcément la presse telle que Charlie Hebdo la pratique (était-ce bien utile de traiter Jean-Paul II de « pape de merde » ou de montrer Mahomet nu dans une position particulièrement osée?), mais plutôt le droit de vivre sans la peur de l’extrémisme qui dérape de plus en plus.

Le problème avec ce genre de terrorisme, c’est qu’il est alimenté par une ferveur religieuse, ce qui rend impossible tout dialogue sensé.  Au rythme où vont les choses, on peut craindre que ce ne soit qu’une question de temps avant qu’un groupuscule islamiste mette la main sur engin nucléaire ou des armes chimique

Dans tout ce brouhaha, je me contente de vivre paisiblement le deuil d’un ami d’enfance, le Grand Duduche.  Oui, il était délinquant.  Était-ce une raison pour le tuer?

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