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Trois artistes posent leur regard sur l’héritage linguistique du colonialisme

Trois artistes posent leur regard sur l’héritage linguistique du colonialisme
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Crédit Image pricipale : Œuvre de Patrick Cruz intitulée Step Mother Tongue (2018). Photo de Sean Fenzl

Près de 1,2 milliard de personnes dans le monde parlent anglais et 276 millions parlent français. Toutefois, le rayonnement de certaines langues ne doit pas faire oublier la façon dont elles furent introduites dans bon nombre de pays où plane encore l’ombre du colonialisme. Voilà la thématique abordée le 4 juin lors de la table ronde Les langues dans l’ombre des colonialismes

En collaboration avec le Conseil culturel fransaskois (CCF), la conférence en français était une initiative du Musée d’art MacKenzie de Regina et de Léuli Eshrāghi, co-commissaire de l’exposition Pasapkedjinawong - La rivière qui passe entre les rochers - the river that passes through the rocks

La rencontre a été suivie par près de 200 spectateurs sur Facebook Live et YouTube Live. « Ce partenariat est important, non seulement pour le CCF mais aussi pour l’ensemble de la communauté fransaskoise, indique Shannon Lacroix, responsable des communications au CCF. Nous voulons que la francophonie ait accès à des expériences de vie enrichissantes, dans sa langue, par le truchement des arts. Le partenariat avec le Musée d’art MacKenzie est inestimable dans cette perspective. » 

La langue comme outil de colonisation

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La table ronde était organisée par le Conseil culturel fransaskois en partenariat avec le Musée d’art MacKenzie de Regina.

La table ronde a d’abord présenté la façon dont les langues européennes sont à l’origine de la plupart des histoires coloniales, les plus connues étant celles de l’Afrique ou des Amériques. Dans l’esprit collectif, la colonisation est le symbole d’une domination qui a laissé des traces, souvent douloureuses, et le terme est toujours utilisé dans le sens du peuplement et de l’occupation d’un territoire.

Sous la main de Dieu, les colonisateurs du 16e au 19e siècle effacent les dialectes jugés trop sauvages et imposent leur propre langue, plus riche, plus claire et plus apte au civisme selon eux. Les témoignages du passé démontrent ainsi que l’une des modalités de l’oppression d’un peuple ou d’une communauté passe par la domination exercée sur sa langue. 

Au Canada, ce sont les langues autochtones qui ont payé le prix des conquêtes. Si la récente découverte de 215 corps d’enfants autochtones au pensionnat de Kamloops en Colombie-Britannique n’a fait que raviver les douleurs de ces oppressions, elle pourrait peut-être remettre sur la table la question de la reconnaissance des langues autochtones en tant que langues officielles.

Une multitude de perspectives

Avec l’exposition Pasapkedjinawong, le musée MacKenzie veut mettre de l’avant des perspectives diverses. Le co-commissaire, artiste visuel et écrivain Léuli Eshrāghi est d’ascendance samoane, perse et cantonaise ; Caroline Monnet, artiste multidisciplinaire, est d’héritage français et anishinaabe ; l’artiste visuelle Faye Mullen est d’origine anishinaabe, algonquine, irlandaise et italienne ; et, enfin, Carl Trahan est un artiste multidisciplinaire originaire du Québec. 

Ces trois artistes présents lors de la table ronde se sont déjà intéressés de près ou de loin à la question de la relation et de la compréhension de l’autre à travers le langage et les cultures, que ce soit à travers des performances, des images, des sons, de l’écriture ou des installations. 

« Le fait de devoir se traduire en anglais enlève une certaine couleur, une poésie à la langue. Je pense qu’il est important d’avoir un certain contrôle sur ce qui doit être traduit dans un pays comme le Canada », estime Caroline Monet. 

L’artiste poursuit en expliquant qu’il est important de se référer à des professionnels pour la traduction d’œuvres artistiques : « C’est tout un métier. Il faut comprendre les intentions de l’artiste ou du texte pour transposer ça dans une autre langue. »

Transcodage d’une langue à une autre, la traduction possède aussi un pouvoir créateur selon Carl Trahan : « L’interlangue, le fait d’apprendre une seconde langue, se compose d’une succession de petits essais, de tests, d’erreurs. Et pour moi, ces erreurs sont la possibilité de créer. »

Langues et territoires

L’exposition parle ainsi d’identité, de langue et de territoire. « C’est important de voir comment la topographie des territoires peut influencer la musique des langues, souligne Caroline Monet. Je pense qu’on observe un intérêt et un retour de l’apprentissage de certaines langues traditionnelles, que ce soit dans les communautés autochtones ou dans les villes », continue-t-elle. 

Mais parler deux langues, c’est aussi avoir deux identités. « L’anglais et le français sont des langues coloniales. Les Métis qui ont des racines françaises sont toujours pointés du doigt car l’un de leurs ancêtres était forcément un Européen », remarque Caroline Monet.

Enfin, l’artiste visuelle Faye Mullen va plus loin en parlant de l’effondrement écologique lié à la perte d’une langue. « Je pense qu’il est important de se rapprocher de ses racines ou de découvrir les principes sur lesquels reposent certaines cultures pour pouvoir comprendre la terre et non pas lui nuire. » 

L’exposition Pasapkedjinawong - La rivière qui passe entre les rochers - the river that passes through the rocks est ouverte au public du 12 juin au 19 septembre 2021 au Musée d’art MacKenzie de Regina.