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Coup d'oeil sur le monde

Le théâtre québécois en deuil: Paul Buissonneau s'éteint à l'âge de 87 ans

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L'homme de théâtre Paul Buissonneau, qui a aussi été le "Picolo" d'une génération ou deux, est décédé dans la nuit de samedi à dimanche à l'âge de 87 ans.

C'est un autre homme de théâtre, Yves Desgagnés, qui a annoncé la triste nouvelle par l'entremise de son compte Twitter, dimanche après-midi. Rejoint par La Presse Canadienne, il a dit avoir appris la mort de M. Buissonneau par la conjointe de celui-ci.

"Son corps a cédé, mais pas son esprit. Il est resté jusqu'à la fin un homme très percutant, toujours fâché contre la bêtise humaine (...) Jamais je n'ai senti un signe de vieillissement chez cette personne-là. Son esprit était extrêmement vif", a confié M. Desgagné, en entrevue avec La Presse canadienne.

Éric Jean, directeur général du Quat'sous, qui l'a vu pour la dernière fois au mois de septembre, a abondé dans le même sens. Selon lui, Buissonneau est resté lucide jusqu'à la fin. Selon M. Jean, son vieillissement lui a toutefois permis de démontrer plus de tendresse, ce qui contrastait avec son image connue de personne flamboyante et colorée.

Homme à tout faire au théâtre, chanteur, directeur artistique de "La Roulotte", "Picolo", cofondateur de la troupe puis du Théâtre de Quat'sous, metteur en scène, comédien, décorateur ou costumier, Buissonneau a tout fait au théâtre ou à la télévision. Son imagination débridée et sa fougue contagieuse font de lui l'un des créateurs les plus marquants de la deuxième moitié du siècle dernier au théâtre québécois.

Né le 24 décembre 1926 à Paris au sein d'une famille modeste, il perdra tour à tour son père et sa mère, connaîtra l'Occupation nazie et survivra tant bien que mal avec ses trois frères et sa soeur plus âgés.

A 14 ans déjà, il fait des petits boulots en ateliers, ce qui lui sera très utile plus tard en décors et costumes, réalisés à partir d'un bout de chiffon et de vieilles chaussures.

Le Théâtre de la famille lui fait découvrir le monde de la scène, des décors et des costumes. Puis, en 1946, il entre aux Compagnons de la chanson et suit Édith Piaf en tournée dans le monde, notamment à Montréal, où il tombe amoureux d'une femme.

Après quatre ans aux Compagnons, Buissonneau lâche tout et revient à Montréal en 1950, attiré par l'amour. Retour aux petits boulots, puis une aventure déterminante dans sa vie: Claude Robillard, directeur du Service des parcs de la Ville de Montréal, lui confie en 1952 "La Roulotte", un théâtre de poche ambulant, qui existe toujours après plus de 60 ans.

Pendant 35 ans, il sera donc "fonctionnaire municipal", formant à sa folle école des dizaines de comédiens, notamment Yvon Deschamps, Jean-Louis Millette, Clémence Desrochers, Marcel Sabourin ou Robert Charlebois...

"C'était un pro-jeune, il a initié beaucoup d'artistes à l'art dramatique (...) Il avait le sens de la transmission. Il transmettait très facilement son savoir à qui le demandait et il n'était pas ringard. C'est l'avenir qui l'intéressait", a témoigné Yves Desgagnés.

En 1956, il transpose à la télévision la douce folie de la Roulotte avec son personnage de Picolo dans la Boîte à surprises, où il écrit, joue et met en scène cet Arlequin pour enfants. En même temps, il fonde la Compagnie du théâtre de quat'sous, une troupe sans domicile fixe. Dès la première année, son "Orion le tueur", avec Millette dans le rôle-titre, remporte deux prix au Festival national d'art dramatique.

L'année suivante, c'est le coup de tonnerre dans le milieu théâtral québécois: "La Tour Eiffel qui tue", de Guillaume Hanoteau, rafle tous les prix. Les plus vieux qui ont vu la production de Buissonneau en chérissent encore le souvenir précieux.

Le Quat'sous

En 1965, Paul Buissonneau fonde le théâtre de Quat'sous dans une ancienne synagogue de l'avenue des Pins, avec de vieux complices de la Roulotte: Deschamps, Léveillée, Millette. Il y sera directeur artistique jusqu'en 1989, animant de son délire passionné cet ancien temple.

Pour Buissonneau, homme d'instinct, rien n'est sacré: dans ses mises en scène (plus de 125) comme dans le choix des pièces ou des collaborateurs, il bouleverse les conventions, pour la plus grande joie d'un public qui l'accompagne volontiers dans ses folles entreprises.

Buissonneau est aussi un formidable dépisteur de talents _ du moins laisse-t-il la chance aux jeunes coureurs. L'"Ostie d'show", c'est lui qui l'avait commandé à Deschamps, Charlebois, Forestier (on dit d'ailleurs que c'est lui qui a baptisé sans le vouloir, dans un élan d'impatience, cet "hostie de show"). C'est lui aussi qui épaule d'emblée les Robert Lepage, André Brassard, René-Daniel Dubois, François Barbeau...

Après son départ du Quat'sous en 1989, Buissonneau n'a pas chômé, même s'il était moins visible. Les théâtres l'ont invité pour des mises en scène _ un fabuleux "Les Chaises", de Ionesco, en 2000 au Rideau vert _, le cinéma lui fait une petite place ("La Conciergerie", "Le P'tit Varius", "Sonia"), il publie "Les Comptes de ma mémoire", dont il tire une pièce.

Encore en 2003, il dirigeait "Les Précieuses ridicules" de Molière, au TNM, et "Le Cabaret des mots", un collage de textes de Jean Tardieu _ un auteur dont la folie ne pouvait échapper à la sienne.

Jusqu'à la fin de sa vie Buissonneau a maintenu des liens avec son théâtre, selon Éric Jean, directeur général du Quat'sous. M. Jean a expliqué que le fondateur s'informait encore sur les pièces qui étaient présentés, et sur la direction du théâtre en général.

Buissonneau allait d'ailleurs participer aux célébrations du 60ème anniversaire du théâtre, en 2015, mais il n'aura pas eu le temps, a regretté M. Jean.

M. Jean dit avoir retenu la passion et le talent de conteur de son prédecesseur. Il a d'ailleurs rappelé que Buissonneau était un "magicien", parce qu'il avait réussi à monter des pièces de qualité avec très peu de ressources.

"C'est un volcan, ce n'était pas toujours facile. Mais un talent, et une imagination extraordinaires () Il faisait des choses avec rien, Paul. C'était un inventeur", a ajouté la comédienne Andrée Lachappelle, qui a travaillé quelques fois avec lui.

Parlant folie: Buissonneau avait déjà eu droit à ses funérailles, qu'il avait lui-même mises en scène au printemps 2012, après une convalescence de neuf mois à l'hôpital. Il avait alors invité, par un "avis de non-décès", ses proches et complices dans la salle de répétition du tout rénové Quat'sous pour un cocktail auquel il assistait via un lien satellite depuis chez lui.

Le réalisateur Mathieu Fontaine a tiré de cet épisode un touchant documentaire, "Un p'tit dernier pour la route", dans lequel on voit aussi Buissonneau se marier officiellement avec sa conjointe depuis 41 ans, Monik Barbeau.

En 2010, la Ville de Montréal avait commandé une murale à son effigie, angle Ontario et Beaudry. Et en septembre 2014, le maire Denis Coderre le nommait "Citoyen d'honneur" de cette ville à qui il avait notamment donné un théâtre ambulant pour enfants. Un prix de la Ville de Montréal pour le développement du théâtre amateur porte aussi son nom, tout comme la salle de spectacles du Centre culturel Calixa-Lavallée, au coeur du parc Lafontaine. Il avait reçu le prix Denise-Pelletier, du gouvernement du Québec, en 2001. 


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