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Une recherche linguistique à l’écoute des Fransaskois

Fort de l’Île-à-la-Crosse en 1820

Fort de l’Île-à-la-Crosse en 1820

La communauté de l’Île-à-la-Crosse, dont le poste de traite fortifié date de 1778, est l’un des berceaux du michif.
Le 28 janvier, la conférence Les langues fransaskoises : une analyse sociolinguistique s’est tenue à l’Université de la Saskatchewan à Saskatoon. Le linguiste Jeffrey Klassen, qui souhaite étudier de près les variétés de la langue française dans la province, est venu à la rencontre des Fransaskois qui joueront un rôle important dans ses travaux.

Une quinzaine de personnes étaient présentes lors de la conférence, qui était aussi transmise via vidéo à La Cité universitaire francophone à Regina. En se basant sur des données historiques, démographiques et sociolinguistiques, Jeffrey Klassen a présenté les premiers éléments de sa recherche en construction.

« Peu de chercheurs en Saskatchewan se penchent sur le français parlé dans la province », souligne-t-il. L’universitaire compte bien y remédier en mettant sur pied d’ici la fin du mois de février un groupe de recherche avec Henri Biahé et Marie-Diane Clarke, professeurs de français à l’Université de la Saskatchewan. « Le groupe sera ouvert à la communauté, dans un esprit collaboratif, civique », souligne Jeffrey Klassen.

Jeffrey Klassen

Jeffrey Klassen

Jeffrey Klassen est linguiste et travaille à l’Université de Saskatchewan en tant qu’attaché temporaire. Il donne des cours de grammaire, de sociolinguistique et d’acquisition. Il a obtenu son doctorat à l’Université McGill en 2016 où il a mené de la recherche sur la production et la compréhension de la proéminence acoustique en anglais et en espagnol. Il s’intéresse aux recherches sur la variation linguistique, surtout en ce qui concerne la production et la compréhension des traits phonétiques dans plusieurs langues.
Une recherche participative

Passionné par les langues minoritaires, le linguiste souhaitait rencontrer les Fransaskois pour les sonder. « Je veux faire de la recherche pour la communauté, et non sur la communauté », précise-t-il. Il tire ainsi quelques enseignements de sa présentation publique : « Apparemment, il y a des gens qui peuvent reconnaître un accent d’un village ou d’un autre. C’est très intéressant. Ça veut dire qu’il y a des marqueurs sociolinguistiques qui varient d’une communauté à l’autre. »Jeffrey Klassen est né au Manitoba dans une famille mennonite qui parlait le bas allemand, ou Plattdeutsch, un dialecte allemand. Il a grandi à Edmonton et Ottawa et a appris le français en immersion et à l’université. Aujourd’hui marié à un Français, le passionné de langues aime avant tout « voir la façon dont les gens marquent leur identité dans leur façon de parler ».

La langue dans toute sa diversité

Les études existantes font état de deux sortes de français dans la province : le français laurentien et le français hexagonal. Le premier provient des francophones venus de la vallée du Saint-Laurent. Le second vient des immigrants européens originaires de France, Belgique et Suisse. Les deux se sont progressivement mélangés, donnant naissance à une certaine variabilité linguistique.

Le michif, un mélange du français et du cri, sera lui aussi étudié. « C’est le résultat de la première exposition au français dans la province, donc il y a peut-être des traits linguistiques préservés dans le michif qu’on ne retrouve pas ailleurs », espère le chercheur. La communauté de l’Île-à-la-Crosse dans le nord de la province, fondée en 1778 comme poste de traite, compte notamment plus d’une centaine de locuteurs du michif.

Étudier pour conserver

Environ 7 000 langues sont actuellement parlées dans le monde, mais 40 % d’entre elles sont en danger de disparition. « On est en train de perdre une diversité linguistique. En perdant une langue, on perd beaucoup de savoirs », alerte le linguiste. La moitié de la population mondiale n’en utilise en fait qu’une vingtaine. Le michif, par exemple, ne compte qu’un millier de locuteurs sur la planète.

Le titre de la conférence, Les langues fransaskoises, intentionnellement au pluriel, renvoie à l’idée que « le français d’ici est une langue en soi, incluant le michif, qu’il y a plusieurs français et beaucoup de façons de le parler », souligne Jeffrey Klassen. En outre, les immigrants d’ascendance africaine viennent eux aussi ajouter à cette diversité linguistique, note-t-il.

Une fois n’est pas coutume, l’élément déclencheur aura été Denise Bombardier. En octobre 2019, la journaliste sortait son documentaire Denise au pays des francos, déplorant la qualité du français en Saskatchewan. « Son attitude m’a étonné car elle est sociologue, elle devrait savoir que les normes sociolinguistiques varient selon beaucoup de facteurs. Quand on décrit une variété linguistique, on utilise des termes objectifs, pas des jugements de valeur », estime l’universitaire qui parle même de discrimination linguistique. Son étude permettra peut-être de lutter contre.

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